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Appel à communications

Journées jeunes chercheuses et jeunes chercheurs 

Culture & Politique : interstices, circulations, conflits 

ENS de Lyon - 24 et 25 novembre 2026

 
La culture est un espace dans lequel se créent des communs partageables (ou pas) et s’expriment des rapports de force, à trois niveaux d’analyse : création/production, diffusion/médiation, réception/consommation. On en voit la trace dans les rapports symboliques et matériels entre les individus, les groupes (d’âge, de sexe, de genre, de race, de classe, etc.), les états (à travers les débats autour du soft power, de la diplomatie culturelle mais aussi des usages politiques et identitaires des ressources culturelles et de la culturalisation des revendications politiques), les aires géographiques (on peut penser aux théories du choc des civilisations, dont le fondement culturel est évident).  

On adopte ici une acception large du terme politique, pour désigner la nature des rapports entre les individus, les groupes, les nations, les aires géographiques qui engage une vision de la reconnaissance mutuelle et structure la vie collective. Interroger les liens entre culture et politique, c’est donc interroger les fondements culturels du « faire société », cad de l’établissement de liens de pouvoir et d’autorité, mais aussi les fondements symboliques du lien politique. Dans ce cadre, le terme culture est également pris dans une acception large, anthropologique, pour concerner tout aussi bien les contenus et objets culturels, que les arts de faire et les représentations sociétales, laïques ou religieuses (Sawicki & Siméant, 2009 ; Fretel, 2017 ; Grisez, 2023). 

Les traductions actuelles de cette imbrication entre culture et politique sont nombreuses et variées :  débats autour de la « cancel culture » et du « wokisme », de la restitution des œuvres du patrimoine ou de leur réécriture contemporaine, de la prolifération de cultures masculinistes ou traditionalistes féminines sur les réseaux transnationaux, de la perte de souveraineté nationale en matière culturelle et médiatique, etc. Les formes contemporaines de ces conflits articulent sexe, race et classe, mais aussi dimension internationale de manière renouvelée, la globalisation contemporaine et l’accélération des échanges produisant de nouvelles formes politiques et culturelles de conflictualité.  

Les axes de réflexion envisagés pour ces journées « jeunes chercheurs et jeunes chercheuses » sont pluriels : 

Du côté de la socialisation (Axe 1), et malgré leurs divergences théoriques, liées principalement à la définition même des termes de « socialisation » et de « politique » (Bargel, 2013), de nombreux travaux se sont attachées à mettre en lumière les manières — socialement et sexuellement différenciées — dont les rapports à la et au politique se façonnent (et/ou sont façonnés) au cours de la vie, de l’enfance à l’âge adulte. Si certaines ont pris pour objet la formation des attitudes, préférences et opinions politiques, l’acquisition des connaissances des institutions et des personnels politiques, ou encore le développement d’un capital politique ou militant, d’autres se sont plutôt intéressées, de façon plus large, à la transmission des représentations du monde social, à la façon dont les individus le divisent et le hiérarchisent et apprennent à s’y situer. Les contributions pourront donc prendre pour objet ce qui, dans le quotidien des enfants et des adultes, et plus précisément dans les loisirs, les objets culturels ou les pratiques ludiques, numériques ou télévisuelles, contribue à la socialisation politique. Dans quelle mesure les jeux de société, comme Le Monopoly ou La Bonne Paye, contribuent-ils à façonner une vision capitaliste du monde ? Que font les jeux vidéo à la perception de l’ordre social et de ses différents rapports de domination ? La lecture de romans, de BD ou de mangas permet-elle de prendre conscience et de remettre en cause les inégalités (de genre, de classe ou de race) ? L’écoute de musiques, de chanteur·euses ou de groupes dit·es « engagé·es » favorise-t-elle la mobilisation ou l’engagement politique ? 

Ces questions en amènent d’autres qui portent sur la réception des œuvres et contenus culturels (Axe 2). En consommant séries, films, musiques ou contenus numériques, les publics réagencent les significations proposées, les contestent ou les détournent, en mobilisant activement des grilles d’interprétation issues de registres variés — intime et affectif (Radway, 1984), ludique et participatif (Jenkins, 1992), économique et marchand (Jenkins & Boyd, 2015), ou encore moral et juridique (Banet-Weiser, 2018). Comment ces publics ordinaires lisent-ils politiquement les œuvres culturelles pour penser leur monde social au prisme des conflits de genre, de classe, de race, de sexualité ou de nationalité ? Si les lectures minoritaires, issues de publics LGBT+ et/ou racisés, et fondées sur la réappropriation critique d’œuvres culturelles grand public — jeux vidéo, saga Harry Potter — ont suscité très tôt l’attention, les lectures majoritaires ou hégémoniques contemporaines demeurent encore peu documentées en comparaison (Stanfill, 2019), alors qu’elles leur sont complémentaires dans la construction des rapports sociaux. Comment les communautés d’interprétation cohabitent elles, y compris conflictuellement — comme dans l’affaire Gamergate ? Les controverses signalent la teneur politique de ces interprétations et réceptions, comme l’illustrent les « déboulonnages » de statues ou bien les mobilisations féministes appelant au boycott.  

Il faudrait alors distinguer les œuvres en fonction de leur teneur politique explicite et des types de représentations et production du politique qui y sont privilégiées (Axe 3). Si la représentation du politique dans les médias (en particulier les médias d’information) a fait l’objet d’une littérature particulièrement abondante (Berthaut, 2013 ; Lochard & Soulages, 2015), son traitement dans les univers culturels — notamment de fiction — est plus confidentiel. Pourtant, les séries télévisées, les films, les romans, les chansons et l’ensemble des biens culturels jouent un rôle central dans la mise en récit du politique. Comment est traité « le politique » au sein des univers culturels ? Au-delà des représentations prétendant à une forme de « réalisme », on peut s’interroger plus largement sur la représentation dans d’autres univers de référence, en particulier dans le cadre des biens culturels utopiques ou dystopiques (Faure & Urzúa Opazo, 2021 ; Malet, 2022). Quelles perspectives politiques sont portées par ces univers culturels ? Et comment ces propositions permettent-elles de renforcer ou de critiquer le monde réel ? Dans cette perspective, on peut se demander comment se construit le processus de création pris dans des contextes professionnels marqués par des contraintes économiques, symboliques et organisationnelles. Quels sont les arbitrages faits par les professionnels (Mille, 2011, 2024) ? Comment les individus ordinaires participent ils à la production du politique via leurs appropriation, interprétation, détournement des contenus culturels existants et comment l’auto-production culturelle contribue-t-elle à cette construction du politique ? 

La question des liens entre culture et politique ne peut faire l’économie d’une réflexion sur les dynamiques de la globalisation et les articulations entre global et local (Axe 4), avec une accélération depuis le passage au numérique et à la plateformisation, à la fois via la numérisation des œuvres et via la marchandisation « culturelle » des traces (Marres & Gerlitz, 2016). La globalisation de la culture en régime numérique est de manière croissante un espace de rapport de force et de compétition pour les infrastructures, les standards socio-techniques (et notamment avec l’algorithmisation, les techniques de visibilisation, et de modération) et les imaginaires (ce que le concept de soft power essaie de saisir). Les contributions pourront, sur des bases empiriques, revisiter les concepts d’hégémonie, de tech-hégémonie (Kwet, 2019), d’impérialisme et d’homogénéisation culturels (Tomlinson, 1991), de contre-hégémonie ou de contre-culture, d’hétérogénéisation, de résistance ou de diversité culturelles ; d’hybridation, d’indigénisation ou de créolisation (Pieterse, 2009), de colonialisme de données (Couldry et Mejias, 2019), etc. Par ailleurs, cette dynamique de globalisation renouvelle la question des liens entre culture et politique au niveau national ou local : on peut s’intéresser à la construction du « roman national » et à ses effets, ou à la manière dont le « méta-récit national » est constitué (Dalibert, 2020) à partir de thématiques, de contenus ou d’identités valorisés au détriment d’autres, ou encore aux politiques mémorielles, auxquelles émargent au moins partiellement les politiques de restitution1

Ces journées porteront une attention particulière aux contributions méthodologiques (Axe 5) afin de comprendre comment saisir la culture par le/la politique et, réciproquement, le/la politique par la culture, deux objets dont la polysémie est en elle-même problématique. Qu’est-ce que le/la politique au prisme de la culture et que sont les pratiques culturelles au prisme du politique ? Comment poser les « bonnes » questions pour mettre au jour les rapports à la ou au politique des individus et le rôle qu’y jouent les pratiques/objets/biens culturels ? Comment saisir des attitudes politiques multiples et contradictoires et leurs liens avec la diversité des répertoires culturels (et leur caractère plus ou moins consonnant ou dissonant) ? Comment catégoriser des personnes qui se diraient économiquement de droite et socialement/culturellement de gauche (ou inversement) ? Qu’est-ce qui socialise au ou à la politique ? Comment – et peut-on – distinguer le rôle respectif des objets et contenus culturels, des modalités de consommations ou de productions, des agents périphériques de socialisation, des contextes locaux ou nationaux ? Les questions méthodologiques ouvrent à des réflexions sur l’éthique de la recherche : Comment définir a priori le caractère politique d’une recherche d’autant plus quand la frontière du politique est poreuse ? N’y a-t-il pas des contenus, objets, consommations, pratiques et modes d’usage de la culture qui permettent de positionner les gens politiquement ? Comment naviguer entre les obligations légales (RGPD) et déontologiques quand la recherche tombe sous le sceau de « données sensibles » ? Comment/peut-on/doit-on éviter le caractère « sensible » d’une question ?

In Memoriam 

Ces journées sont organisées à la mémoire de Dominique Pasquier, partie prenante de ce projet à son origine. Toujours soucieuse de la formation des jeunes chercheurs et chercheuses et de la transmission des savoirs, elle avait accueilli ce projet de journées jeunes chercheurs/jeunes chercheuses avec tout l’enthousiasme dont elle était capable.  

Références bibliographiques

Banet-Weiser, S. (2018). Empowered: Popular Feminism and Popular Misogyny, Durham, NC: Duke University Press.  

Bargel, L. (2013). « Socialisation politique », in Dictionnaire genre & science politique, Paris, Presses de Sciences Po, p. 468-480 

Berthaut, J. (2013). La banlieue du « 20 heures ». Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique. Marseille : Agone.  

Couldry, N., & Mejias, U. A. (2022). Le colonialisme des données : Repenser la relation entre le big data et le sujet contemporain. Questions de communication42, 205‑221. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.29845

Dalibert, M. (2020). Le métarécit national des médias d’information : Entre production de la race et de la classe et légitimation des rapports sociaux. Recherches féministes33(1), 35‑51. https://doi.org/10.7202/1071241ar

Faure, A., & Urzúa Opazo, M. (2021). « Un futur noir sans futur. Politique de la dystopie et politique du temps dans deux épisodes de Black Mirror. », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, 102, Article 102. https://doi.org/10.4000/quaderni.1870  

Featherstone, M. (1990). “Global Culture: An Introduction”, Theory, Culture & Society, 7(2-3), p. 1-14.  

Fretel, J.  (2017). La crise du militantisme. Pouvoirs, 163(4), 71-81. https://doi.org/10.3917/pouv.163.0071.

Grisez, É. (2023). À l’école primaire catholique : Une éducation bien ordonnée. PUF.

Jenkins, H. (1992), Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture, London: Routledge.  

Jenkins, H., Ito, M. & Boyd, D. (2015), Participatory Culture in a Networked Era: A Conversation on Youth, Learning, Commerce, and Politics, Cambridge: Polity Press.  

Kwet, M. (2019), “Digital colonialism: US empire and the new imperialism in the Global South”, Race & Class, 60(4), p. 3–26. 

Lochard, G., & Soulages, J.-C. (2015). « Chapitre 3. Comment la télévision traite la laïcité », in La laïcité dans l’arène médiatique, Paris : Institut National de l’Audiovisuel (INA), p. 95115. https://doi.org/10.3917/ina.chara.2015.01.0095  

Malet, M. (2022). « Innovations transhumanistes et technologies de stockage : Les imaginaires dystopiques de la série Black Mirror (Channel 4, 2011-2014 ; Netflix, 2014—). », Le Temps des médias, 39(2), p. 205223. https://doi.org/10.3917/tdm.039.0205  

Marres, N., & Gerlitz, C. (2016). Interface Methods : Renegotiating Relations between Digital Social Research, STS and Sociology. The Sociological Review64(1), 21‑46. https://doi.org/10.1111/1467-954X.12314

Mille, M. (2011). « Rendre l’incroyable quotidien : Fabrication de la vraisemblance dans Plus belle la vie. », Réseaux, 165(1), p. 53-81. https://doi.org/10.3917/res.165.0053  

Mille, M. (2024). Le travail de la fiction : Dans les coulisses d’une série télévisée. Vincennes : Presses Universitaires de VINCENNES.  

Pieterse, N. J. (2009), Globalization and culture: Global Melange, New York: Rowman & Littlefield 

Radway, J. A. (1984), Reading the Romance: Women, Patriarchy, and Popular Literature, Chapel Hill: University of North Carolina Press.  

Sawicki, F., & Siméant, J. (2009). Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français. Sociologie du travail51(1), 97‑125. https://doi.org/10.4000/sdt.16032

Stanfill, M. (2019), “Introduction: The Reactionary in the Fan and the Fan in the Reactionary”, Television & New Media, 21 (2), p. 123–134.  

Tomlinson, J. (1991), Cultural Imperialism: A Critical Introduction, Baltimore: The Johns Hopkins University Press.

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